Comment interpréter les résultats des élections européennes ?
En Croatie le taux de participation n’a atteint que 21,35%
Première observation, lors des élections européennes qui se sont déroulées dans les 27 pays membres de l’UE entre le 6 et le 9 juin 2024, le taux de participation a de nouveau été très faible. En moyenne, pour l’Union européenne, il s’est élevé à 51%. Il faut prendre en compte que des pays où le vote est obligatoire rentrent dans le calcul de cette moyenne, comme c’est le cas pour la Belgique, ou le taux de participation s’est élevé à 90% [1]. Sans eux, le pourcentage de participation passerait en dessous de la barre des 50%. Sur les 27 pays membres de l’UE, 15 pays affichent un taux de participation inférieur à 50%. Et des pays récemment entrés dans l’UE ont connu des taux extrêmement faibles. En Croatie le taux de participation n’a atteint que 21,35%. A noter que la Croatie n’est rentrée dans l’UE qu’en 2013 et seulement en 2023 dans la zone Euro et l’espace Schengen. En Lituanie, qui a adhéré à l’UE en 2004, le taux de participation s’est élevé à 28,35%. Pour les deux autres républiques baltes, le taux s’élève pour la Lettonie à 34% et pour l’Estonie à 37,6%. Les autres pays où la participation a été faible : la Tchéquie avec 36,45%, la Slovaquie avec 34,40%, le Portugal avec 36,5%, la Finlande avec 40,4, la Bulgarie avec 33,8% et la Grèce avec 41,4% (alors que dans ces deux pays le vote est obligatoire !).
En Italie le taux de participation a atteint 48,3%, 6 points de pourcentage de moins qu’en 2019. En France, le taux de participation s’est élevé à 51,50%. Parmi les grands pays de l’Union européenne, seule l’Allemagne dépasse largement les 50% de participation en atteignant 65%.
Conclusion : La majorité des citoyens et des citoyennes de l’Union européenne n’ont aucun engouement pour les institutions de l’UE et n’ont pas confiance dans l’utilité d’utiliser leur droit de vote. Les citoyens et les citoyennes des pays de l’ancien bloc de l’Est ou du Sud de l’Europe qui avaient beaucoup d’espoir au moment où leur pays à adhérer à l’UE ou plus tard à la zone euro ou à l’espace Schengen sont clairement déçu·es par les promesses non tenues d’amélioration des conditions de vie. La progression des droits sociaux ne s’est pas concrétisées, au contraire. S’il adopte quelques fois des résolutions relativement positives, le Parlement européen n’a pas de véritable pouvoir. C’est la Commission et le Conseil qui, au sein de l’UE, prennent véritablement les décisions et les grands pays comme l’Allemagne et la France y exercent une influence décisive. Il ne faut pas non plus oublier le rôle coercitif de la Banque centrale européenne qui a montré à plusieurs occasions, comme dans le cas de la Grèce en 2015, qu’elle voulait et pouvait déstabiliser un gouvernement qui ne suivait pas docilement la politique voulue par les dirigeant·es de l’UE. Une politique exigée par les gouvernements des pays qui dominent économiquement et politiquement l’Union et par les grandes entreprises privées, en particulier les grandes banques privées et les fonds d’investissement. Les citoyens et citoyennes se sont aussi rendus compte que pendant la pandémie du coronavirus (2020-2021), les dirigeant·es de l’UE étaient incapables d’adopter des politiques sanitaires pour les protéger efficacement. Et depuis lors, l’UE n’a rien fait pour améliorer structurellement la situation, refusant de se doter d’une industrie pharmaceutique capable de répondre à une prochaine pandémie, refusant de soutenir la proposition avancée par 135 pays du sud Global de suspendre l’application des brevets, empêchant l’accès universel aux vaccins et préférant par contre soutenir l’industrie européenne d’armement et accroître les dépenses militaires.
Il y a un renforcement très important des forces conservatrices de droite et des forces d’extrême droite
Deuxième observation, il y a un renforcement très important des forces conservatrices de droite et des forces d’extrême droite. Les forces politiques qui se présentaient comme centristes, ou centre-droit, tout en menant une politique de droite dure par rapport aux migrant·es, aux candidat·es au droit d’asile, à la remilitarisation accélérée de l’Europe, ont souffert dans certains cas de lourdes pertes. C’est en particulier le cas du regroupement autour du parti d’Emmanuel Macron, Renaissance, qui a perdu 10 sièges, passant de 23 à 13. Autre exemple, l’Open VLD du premier ministre belge Alexander De Croo, qui a perdu la moitié de ses sièges. Les électeur·ices préfèrent l’original (d’extrême-droite ou de droite conservatrice dure) à la copie.
Les autres grands perdants sont les Verts européens qui ont payé leur compromission en matière de politique pour faire face au changement climatique, à la crise écologique, ou pour gérer les flux migratoires et la politique du droit d’asile. Ils ont également payé leur appui à la politique de remilitarisation de l’Europe et l’alignement sur l’OTAN. En effet, à certaines occasions, les Verts, ont joué un rôle fondamental dans la formation de majorités au Parlement et dans l’approbation des principales mesures de la législature 2019-2024 (Pacte vert, remilitarisation européenne, Pacte sur l’immigration et l’asile, etc.). Dans leurs pays respectifs, ils ont accompagné des politiques de droite comme en Allemagne et en Belgique. Comme l’écrit Miguel Urban : « Si, en 2019, ils se sont imposés, dans une certaine mesure, comme des forces de renouvellement et de modernisation d’une gouvernance bipartisane dépassée, leur incapacité à répondre aux attentes les a conduits à payer un coût électoral élevé. » [2] Le groupe des Verts européens perd 17 sièges, passant de 71 sièges à 54 sièges. De 4e groupe au sein du Parlement européen, ou il devançait les deux groupes parlementaires de l’extrême droite – ECR et ID (voir plus loin), il passe à la sixième place. Il est donc dorénavant devancé par ces deux groupes.
Le groupe dominant au Parlement européen, à savoir le groupe du Parti populaire européen, dans lequel prédomine la CDU-CSU de Ursula Vander Leyen et le Parti populaire espagnol, est tenté de tendre la main à Giorgia Meloni et à son parti d’extrême droite
Troisième observation, la coalition de 3 groupes parlementaires qui gouvernent les institutions européennes, c’est-à-dire, le groupe du Parti Populaire européen, le groupe social-démocrate des partis socialistes et Renew Europe (qui inclut notamment Renaissance d’Emmanuel Macron, l’Open VLD d’Alexander de Croo – qui a démissionné le soir des élections suite à la défaite de son parti – et le VVD de Mark Rutte, ex-premier ministre hollandais), conserve une majorité même si elle est amoindrie, car elle passe de 417 sièges à 406 et peut continuer de gouverner l’UE. Mais le groupe dominant au sein de cette coalition, à savoir le groupe du Parti populaire européen, dans lequel prédomine la CDU-CSU de Ursula Vander Leyen et le Parti populaire espagnol est clairement tenté de tendre la main à Giorgia Meloni et à son parti d’extrême droite, les Fratellis d’Italie (membre du groupe parlementaire européen ECR) afin d’inclure l’Italie dans la gouvernance européenne. De son côté, Giorgia Meloni, s’appuie sur son succès électoral le 9 juin et sur la progression du groupe parlementaire d’extrême droite, sur lequel elle exerce un leadership, qui passe de 69 eurodéputé·es à 83. Elle exige un poste parmi ceux des principaux dirigeant·es de l’UE en arguant que Renew Europe est passé de 102 europarlementaires à 75. On verra fin juin, si elle obtient satisfaction.
Le groupe de la « gauche radicale » se renforce globalement, passant de 37 sièges à 39
Quatrième observation, le groupe de la « gauche radicale » – qui constitue le plus petit groupe au sein du parlement européen – malgré des pertes dans certains pays comme le Portugal où tant le Bloc de Gauche que le PCP perdent près de la moitié des voix et des sièges, se renforce globalement, passant de 37 sièges à 39. Il pourrait encore croître vu que des non-inscrit·es et des indépendant·es, qui représentent plus de 80 eurodéputé·es, pourraient le rejoindre. Au-delà de la composition et du nombre du groupe de la gauche radicale The Left, il faut relever certains succès. C’est le cas du bon résultat de la France Insoumise par rapport aux résultats de 2019, qui passe de 7 à 9 parlementaires, et qui atteint près de 10% des voix. Il faut ajouter également le résultat de la gauche radicale en Belgique, avec le progrès du PTB, qui double son score et sa représentation au Parlement européen (voir plus loin). Notons aussi le cas de l’Italie où l’alliance verte et de gauche atteint près de 7% des voix et obtient deux europarlementaires (voir plus loin).
Cinquième observation, la crise des régimes politiques continue à se traduire, outre le renforcement de l’extrême droite, par l’apparition et le succès de listes éphémères tirant avantage de leur impact sur les réseaux sociaux et de la recherche d’alternatives hors des partis politiques traditionnels ou même d’extrême-droite « classique ». Deux exemples de ce phénomène : la liste de Fidias Panayiotou, un tiktoker chypriote de 24 ans, qui a été la troisième force remportant un siège au Parlement européen avec près de 20 % des voix, et Alvise Pérez, le candidat de Se Acabó La Fiesta (La fête est finie), l’une des nouveautés électorales en Espagne qui a obtenu trois députés européens avec 800 000 voix. Alvise Pérez est très actif sur les réseaux sociaux Telegram et Twiter / X sur lesquels ils diffusent des fakenews clairement orientées à droite. Dernièrement, X lui a retiré l’accès au réseau. Il fait l’objet de plusieurs poursuites pénales pour diffamation et espère bien profiter du statut d’eurodéputé pour y échapper durant la durée de son mandat.
Quelle est l’ampleur du renforcement de l’extrême-droite ?
L’extrême droite a réussi à devenir la première force politique en Italie (Frères d’Italie), en France (RN), en Hongrie (Fidesz-Union civique hongroise), aux Pays-Bas (PVV Partij voor de Vrijheid de Geert Wilders) et en Autriche (FPÖ)
Les deux groupes parlementaires d’extrême droite, qui ensemble regroupaient 118 député·es en 2019, sortent renforcés des élections de 2024. Ils comptent 134 député·es européen-nes. Cela monte à 149 parlementaires si on y ajoute les 15 parlementaires de l’extrême droite allemande Alternative für Deutschland AFD (qui, suite à des prises de positions pro nazie de son candidat principal pendant la campagne européenne, a été exclu en mai 2024 du groupe Identité et Démocratie -ID- dominé par le RN de Marine Le Pen). A noter que l’AFD est devenue le 9 juin 2024, avec 15 europarlementaires, la deuxième force politique en Allemagne alors qu’aux élections européennes de 2019, elle occupait la cinquième place avec 9 europarlementaires. Si on y ajoute le parti Fidesz-Union civique hongroise de Viktor Orban qui est venu en tête des élections hongroises et qui a remporté 10 sièges, cela donnerait 159 parlementaires.
Il faut noter effectivement qu’un certain nombre de non-inscrit·es et d’indépendant·es risquent aussi de rejoindre un des deux groupes parlementaires de l’extrême droite. L’extrême droite a réussi à devenir la première force politique en Italie (Frères d’Italie), en France (RN), en Hongrie (Fidesz-Union civique hongroise), aux Pays-Bas (PVV Partij voor de Vrijheid de Geert Wilders) et en Autriche (FPÖ). Et la deuxième force en Allemagne (AFD) et en Belgique (grâce au succès de Vlaams Belang dans la partie flamande du pays où il occupe la deuxième place derrière la NVA, un parti de droite radical). L’extrême droite n’a cessé de progresser en Europe depuis le début du siècle. Comme le souligne Miguel Urban, eurodéputé sortant d’anticapitalistas, il y a 20 ans, les parlementaires de l’extrême droite peinaient à constituer un groupe parlementaire dans le Parlement européen car cela impliquait d’avoir des élu·es dans 7 pays et d’atteindre au moins 23 sièges. Aujourd’hui, ils disposent de deux grands groupes parlementaires qui, s’ils s’unissaient, constitueraient la deuxième force politique dans le Parlement européen. Au cours des dix dernières années, l’extrême droite a fait son apparition dans certains pays où elle n’avait jusque-là aucun siège. C’est le cas du Portugal avec l’organisation d’extrême droite Chega, qui aux dernières élections parlementaires de mars 2024, a obtenu 18% des voix et pour la première fois fait son entrée dans le Parlement européen avec 2 sièges, après avoir recueilli 9,8% des voix le 9 juin.
Comment se répartissent les différents groupes politiques au sein du parlement européen et quelles sont leurs caractéristiques ?
Source : https://results.elections.europa.eu/fr/outils/outil-de-comparaison/
1. Le Parti Populaire Européen
Le premier groupe au sein du Parlement européen est le parti populaire européen, présent dans les 27 pays de l’Union européenne et disposant de 188 sièges. Il progresse de 12 sièges par rapport à 2019. En son sein, on retrouve des partis conservateurs avec une connotation chrétienne comme la CDU-CSU allemande de Ursula Van Der Leyen et Angela Merkel, comme le PP espagnol, la Coalition civique (en polonais : Koalicja Obywatelska, abrégé en KO) dirigée par Donald Tusk qui gouverne depuis fin 2023, le CDNV en Belgique, mais aussi le parti de feu Silvio Berlusconi, Forza Italia. Les partis nationaux qui soutiennent le groupe PP au parlement européen ont radicalisé leur positionnement à droite sur les thèmes liés aux droits des migrant·es et des réfugié·es, à la sécurité, à la guerre, à l’OTAN, à l’offensive contre les droits sociaux, au soutien gêné mais bien réel à la politique du gouvernement d’extrême droite de Netanyahou, à la poursuite et à l’approfondissement des politiques économiques néolibérales de privatisation et d’atteintes aux services publics,… Ils ont généralement intégré en leur sein des personnalités d’extrême droite comme c’est le cas du parti Nouvelle Démocratie qui gouverne la Grèce depuis 2019. Les partis membres du PPE font des alliances avec l’extrême droite comme c’est le cas en Espagne du PP avec Vox (membre du groupe européen ID) pour gouverner des régions ou des municipalités, ou en France d’une partie du parti Les Républicains (notamment leur président, le maire de Nice, Éric Ciotti) avec le RN de Marine Le Pen et de Jordan Bardella dans la campagne électorale des législatives du 30 juin 2024. En Autriche, le Parti populaire autrichien (en allemand : Österreichische Volkspartei, abrégé en ÖVP) a durant des années fait alliance avec le FPÖ, parti d’extrême-droite, jusqu’à ce qu’en 2019, un scandale mettant en cause le dirigeant principal de ce parti rende impossible la poursuite de la collaboration. Depuis lors, le Parti populaire autrichien est associé au Verts. En Italie, le parti membre du groupe Parti populaire au parlement européen est Forza Italia, parti conservateur de droite radicale, de feu Silvio Berlusconi. Il fait partie du gouvernement de la leader d’extrême-droite Giorgia Meloni des Frères d’Italie (Fratelli d’Italia) également alliée dans le gouvernement à un autre parti d’extrême droite italien, la Ligue du Nord de Matteo Salvini. En Finlande, le Parti de la Coalition nationale (Kokoomus, Kok) du premier ministre Petteri Orpo, membre du groupe PPE, a formé un gouvernement de coalition avec un parti d’extrême droite le Parti des Vrais Finlandais. En Suède, le parti d’extrême droite Démocrates de Suède (Sverigedemokraterna, SD) soutient, sans en faire partie, le gouvernement conservateur en place depuis 2022 composé notamment Parti modéré de rassemblement (Moderata samlingspartiet), membre du PPE. Ce gouvernement mène une politique répressive dure contre les migrant·es et a fait adhérer la Suède à l’OTAN en 2023. Ce qu’a fait également la Finlande. Ajoutons également que, en Hongrie, le parti d’extrême droite du président Viktor Orban, le Fidesz-Union civique hongroise (Fidesz-Magyar Polgári Szövetség) a été membre du PPE jusque 2021. De toute manière, la liste des compromissions et des alliances de partis membre du PPE avec l’extrême droite est plus large que ce qui vient d’être mentionné et mériterait une étude complète.
2. S&D Groupe de l’Alliance Progressiste des Socialistes et Démocrates au Parlement européen, fidèle allié du Parti populaire européen pour gouverner l’UE
Le deuxième groupe parlementaire en termes de nombre est celui de l’Alliance Progressiste des Socialistes et Démocrates qui compte 136 parlementaires alors qu’il en rassemblait 139 en 2019. Les socialistes espagnols et les Italiens du Parti démocratique obtiennent chacun le 21 europarlementaires mais les Espagnols perdent un siège (ils en avaient 22 en 2019) tandis que les Italiens en gagnent 6 en passant de 15 à 21. Les socialistes allemands ont perdu 2 sièges passant de 16 à 14. Au Portugal, le parti socialiste passe de 8 à 7 parlementaires. Les socialistes autrichiens gardent 5 sièges tout comme en 2019 mais passent de la deuxième force politique à la troisième. En Bulgarie les socialistes passent de 4 à 2 parlementaires. En Roumanie, les socialistes passent de 4 à 6 sièges. Les socialistes belges obtiennent 4 parlementaires contre 2 en 2019. En Croatie, les socialistes se maintiennent avec 4 sièges. Au Danemark les socialistes se maintiennent avec 3 sièges (sur 15 sièges) ; en Finlande, ils stagnent à 2 sièges (sur 21 sièges) ; en Suède, ils conservent leurs 5 sièges (sur 21). En France, ils connaissent une importante progression passant de 7 à 13 sièges et sont à égalité avec le parti de Macron qui, lui, perd 10 sièges (alors que le parti de Marine Le Pen gagne 12 sièges passant de 18 à 30). En Grèce ils passent de 2 en 2019 à 3 sièges en 2024. Aux Pays-Bas, les socialistes perdent et passent de 6 à 4 sièges. En Tchéquie et en Slovaquie, les socialistes n’ont aucun parlementaire. En Slovénie ils passent de 2 à 1 siège. En Estonie et en Lituanie, les socialistes se maintiennent à 2 sièges comme en 2019, en Lettonie, ils passent de 2 à 1.
Le groupe parlementaire socialiste européen a appuyé les même orientations et les mêmes politiques que le groupe du Parti Populaire européen, il n’y a eu aucune rupture entre eux sur les grandes questions au niveau des politiques économiques, de la politique migratoire, de l’augmentation des dépenses militaires, du renforcement de l’OTAN et de l’alignement sur Washington, du refus de prendre des sanctions contre Israël, du choix de ne pas appliquer un virage radical pour répondre à la crise écologique.
3. ECR Le groupe des Conservateurs et des Réformistes européens, le plus important regroupement d’extrême droite
Le groupe des Conservateurs et des Réformistes européens est à ce stade le principal groupe parlementaire d’extrême-droite et compte 83 eurodéputé·es
Le groupe des Conservateurs et des Réformistes européens est à ce stade le principal groupe parlementaire d’extrême-droite et compte 83 eurodéputé·es. Par rapport aux élections de 2019, ce groupe a progressé de 14 sièges. Le parti de Giorgia Meloni, les Frères d’Italie (Fratelli d’Italia) constitue la principale force politique de ce groupe avec 24 parlementaires élu·es en 2024 contre 10 en 2019. Ensuite vient en Pologne le parti Loi et Justice (PIS est le sigle en polonais) qui a gouverné ce pays de 2015 à fin 2023 et qui compte 20 parlementaires contre 27 en 2019. A noter qu’en 2019, il constituait la principale force politique du pays et qu’en 2024, il a été dépassé par la Coalition civique (en polonais : Koalicja Obywatelska, abrégé en KO) dirigée par Donald Tusk, qui gouverne depuis fin 2023, comme nous l’avons vu en parlant du PPE. En Espagne, c’est le parti d’extrême-droite VOX qui fait partie du groupe ECR, il a obtenu 6 sièges en 2024 contre 4 en 2019. En France, les membres d’ECR se retrouvent plus ou moins dans la formation politique d’extrême-droite Reconquête du raciste Éric Zemmour, ils sont au nombre de 4 [3]. En Belgique, la NVA, le principal parti nationaliste flamand ultra néolibéral et raciste fait partie d’ECR avec 3 parlementaires (le même chiffre qu’en 2019). La NVA a obtenu 22% de voix en Flandres et a devancé de peu le Vlaams Belang au cours des élections au parlement fédéral qui se déroulait en même temps que les européennes. C’est le dirigeant de la NVA qui conduit les négociations pour la constitution d’un nouveau gouvernement en Belgique, gouvernement qui sera entièrement composé par des partis de droite. Le Vlaams Belang, qui est encore plus à droite que la NVA, a dépassé celle-ci de peu aux élections européennes et compte également 3 eurodéputé·es. Le Vlaams Belang fait partie de l’autre grand groupe d’extrême droite dans le parlement européen, le groupe ID dominé par le RN de Marine Le Pen (voir plus loin). Lors de la campagne électorale pour le parlement fédéral belge la NVA a adopté un discours pas très éloigné du Vlaams Belang afin de ne pas perdre trop de voix en sa faveur. Bart de Wever, le dirigeant de la NVA, s’est présenté en quelque sorte comme un rempart face au danger que représente le Vlaams Blok. Néanmoins, lors de la soirée électorale du 9 juin, Bart de Wever content d’avoir dépassé (de peu) le Vlaams Blok a félicité celui-ci pour son résultat en progression. Le programme économique de la NVA est calqué sur le programme du patronat belge et flamand.
En Tchéquie, la coalition SPOLU qui fait partie du groupe ECR dispose de 3 député·es européen·nes. En Suède, fait partie de l’ECR le parti d’extrême droite les Démocrates de Suède (Sverigedemokraterna, SD), il dispose de 3 élu·es au Parlement européen comme en 2019. En Finlande, on trouve le parti des finlandais (PS Perussuomalaiset/Sannfinländarna) qui a perdu des voix en 2024 et n’a plus qu’1 parlementaire européen contre 2 en 2019. C’est une bonne nouvelle que ce parti paie sa participation au gouvernement finlandais dans lequel il a 7 ministres. En Grèce, le parti affilié à l’ECR est la Solution grecque qui a progressé lors des élections de 2024 et a obtenu 2 élus contre 1 en 2019. Tous les partis européens d’ECR sont clairement d’extrême droite.
En tout cas, il est important de retenir que dans au moins deux pays de l’UE, des partis membres de l’ECR dirigent ou vont diriger le gouvernement, c’est le cas de l’Italie et probablement de la Belgique dans les semaines ou les mois qui viennent. Ils sont aussi au gouvernement en Finlande.
4. RENEW Europe
Renew Europe est le quatrième groupe parlementaire européen en termes de poids. Sa force a été fortement amenuisée suite aux élections de 2024, il passe de 102 en 2019 à 75 parlementaires en 2024. Les principales formations politiques du groupe RENEW sont le parti du président français Emmanuel Macron, 3 partis de droites de Belgique – le MR dont est issu Charles Michel, le président du Conseil dont le mandat s’achève, l’Open VLD de l’ex-premier ministre belge Alexander De Croo, et les Engagés, un parti qui provient de la famille PPE et qui vient de rejoindre RENEW depuis les élections européennes de juin 2024 après avoir fait un bon score électoral. Aux Pays-Bas, également membre de RENEW, le VVD le parti de l’ex-premier ministre Mark Rutte, qui vient de devenir le nouveau chef de l’OTAN, fait désormais partie d’un gouvernement de coalition dirigé par le parti d’extrême-droite du raciste Geert Wilders (du Parti pour la Liberté). C’est son parti qui a propulsé le nouveau premier ministre hollandais Dick Schoof, qui a été chef des services de renseignement et qui officiellement n’est membre d’aucun parti.
5. Identité et Démocratie (ID)
Le Rassemblement national de Marine Le Pen et de Jordan Bardella, qui est venu en tête des élections européennes en France en faisant le double des voix du parti d’Emmanuel Macron, exerce le leadership dans le groupe ID
Le second groupe parlementaire d’extrême-droite est le groupe Identité et Démocratie (ID), il a également grandi depuis les élections de 2019, passant de 49 à 58 parlementaires européen·nes en 2024. Le groupe est présent dans 7 pays. Le Rassemblement national de Marine Le Pen et de Jordan Bardella, qui est venu en tête des élections européennes en France en faisant le double des voix du parti d’Emmanuel Macron, y exerce le leadership avec 30 parlementaires contre 18 en 2019. Ensuite vient la Ligue du Nord de Matteo Salvini, qui a subi d’énormes pertes par rapport à 2019. Son groupe ne compte plus que 8 parlementaires, alors qu’il en comptait 22. Le parti de Salvini fait partie du gouvernement de Giorgia Meloni, dont il est le vice-premier ministre (poste qu’il a occupé également en 2018-2019). Le parti de Salvini intègre des personnalités d’extrême droite affichant leur sympathie pour Mussolini comme l’ancien général Vannacci. En Autriche le Parti de la liberté d’Autriche ou Parti libéral autrichien (en allemand : Freiheitliche Partei Österreichs, FPÖ) a fait partie du gouvernement de 2000 à 2006, et ensuite de 2017 à 2019. Plusieurs de ses membres et dirigeants n’ont pas caché leurs sympathies nazies. Le parti n’a plus pu faire partie d’un gouvernement suite à un scandale ayant éclaté en 2019, qui a permis de révéler avec vidéo à la clé qu’un de ses dirigeants principaux avait négocié le financement du parti avec un oligarque russe. Ceci dit, entre 2019 et 2024, il a doublé ses voix et ses parlementaires européens passant de 3 à 6. Il est ainsi devenu le premier parti autrichien en 2024, devançant d’un siège au parlement européen le parti membre du groupe parti populaire européen et le parti socialiste.
Aux Pays-Bas, c’est le Parti pour la Liberté (en néerlandais Partij voor de Vrijheid) de Geert Wilders qui fait partie du groupe Identité et Démocratie, il est devenu la principale force politique du pays en novembre 2023 et vient de constituer un gouvernement avec le VVD qui fait partie de Renew (voir plus haut). Aux élections européennes, il a confirmé sa position de premier parti en obtenant 6 parlementaires tandis que le VVD de Mark Rutte en a obtenu 4. En Belgique, dans la partie flamande, le Vlaams Belang, qui est membre de Identité et Démocratie, a connu une forte progression électorale en juin 2024 en devenant le principal parti en termes de votes pour les élections européennes. Pour les élections au parlement belge, il est la deuxième force après la NVA qui, comme on l’a vu, fait partie de l’autre groupe parlementaire d’extrême droite, l’ECR. Le groupe ID est également présent en Estonie et en Tchéquie mais ce sont des forces marginales obtenant chacune seulement un parlementaire.
6. Le groupe des Verts européens (51 au lieu de 71 en 2019)
Le groupe des Verts européens a connu une importante défaite lors des élections de 2024, passe de 71 parlementaires à 51
Le groupe des Verts européens a connu une importante défaite lors des élections de 2024, passe de 71 parlementaires à 51. Le groupe revient grosso modo à la taille qu’il avait entre 1999 et 2019 avant de connaître une forte croissance en 2019 pour la législature qui se termine. Maintenant, il passe de la 4e position à laquelle il s’était hissé en 2019 à la 6e position, dépassé par les deux groupes parlementaires d’extrême droite, le groupe ECR et le groupe ID. Les Verts allemands (= Grünen), partie prenante d’un gouvernement de grande coalition avec les socialistes et les libéraux, ont perdu près de la moitié des sièges, passant de 21 europarlementaires à 12. Si on ajoute les autres petites listes allemandes qui appartiennent également au groupe des Verts européens, l’ensemble passe de de 25 à 16. Les Verts allemands ont accepté l’orientation du gouvernement dirigé par le socialiste Scholtz, résolument favorable au gouvernement fasciste de Netanyahou, pro OTAN et favorable à une forte augmentation des dépenses d’armement. Les Verts de Belgique ont également subi une terrible défaite, en particulier dans la partie francophone du pays où ils ont payé un prix élevé pour leur participation gouvernementale avec deux partis de droite et les socialistes. Ils sont passés de 2 europarlementaires à 1. Les Verts flamands s’en tirent un peu mieux et gardent un europarlementaire. Les verts autrichiens qui sont au gouvernement depuis 2019 avec l’OVP, membre du PPE, sont aussi perdants et passent des 3 parlementaires à 2. Les Verts français, qui ont adopté une position de plus en plus modérée sans pour autant être dans le gouvernement, ont aussi perdu un grand nombre de voix passant de 10 europarlementaires à 5. L’exception à cette très importante chute se situe au Danemark : les Verts progressent et passent de 2 sièges à 3 sièges au PE. En Italie ils se maintiennent avec 3 sièges au PE de même qu’en Suède avec 3 sièges également. Dans les pays de l’Est ils sont quasi absents.
7. Le groupe parlementaire The Left (La Gauche)
Si la gauche n’offre pas d’alternatives au désordre, à la crise climatique, à l’insécurité sociale, à la gestion des migrations et aux inégalités croissantes, ces espaces seront occupés par l’extrême droite dans une perspective d’exclusion, de punitivisme et de criminalisation de ceux qui sont différents
Le septième groupe parlementaire européen est constitué par le groupe The Left (La Gauche) anciennement GUE/NL. Au départ, il y a 25 ans, il était composé de partis euro communistes auxquels s’ajoutaient notamment deux élus trotskystes Alain Krivine (Ligue Communiste révolutionnaire) et Arlette Laguiller (Lutte Ouvrière). Il s’est élargi vers des partis de la gauche nordique (Danemark, Finlande et Suède) qui ne venaient pas de la tradition communiste. En 2004, il n’y a plus eu d’élu·es trotskystes mais se joignirent à la GUE, le Bloc de Gauche du Portugal (résultat d’une fusion entre eurocommunistes, maoistes, trotskystes,…) et le Sinn Fein irlandais ainsi que le Parti progressiste des travailleurs (AKEL) de Chypre et le Parti Communiste de Tchéquie. Suites aux élections de 2009 la GUE connu une chute importante car les différentes organisations communistes italiennes perdirent toute représentation alors qu’elles avaient 7 sièges européens dans la précédente législature. La GUE se réduisit à 35 parlementaires. Mais à partir de 2014, de nouvelles formations en plein développement ont renforcé la GUE, notamment Syriza de Grèce qui était à son apogée ou l’ont rejoint, comme Podemos en Espagne, qui venait d’être créé et fit élire sur une orientation radicale 5 parlementaires du premier coup. Izquierda Unida d’Espagne avait également des élu·es. En conséquence en 2014, la GUE connut une croissance importante en gagnant 18 sièges, passant de 35 à 53 sièges. Suite à la capitulation de Syriza en 2015, du virage modéré de Podemos et de Die Linke en Allemagne, la GUE/NL perdit des plumes et retomba à 37 sièges en 2019. Les résultats des élections de 2024 situent The Left, le nom qui remplace le sigle GUE/NL, à son niveau de 2009 et de 2019. À noter des résultats positifs en France où La France Insoumise gagne 4 sièges, passant de 5 à 9, en Belgique, où grâce au PTB, The Left gagne 1 eurodéputé, en Italie, avec la liste Alliance Verte et Gauche qui obtient 2 eurodéputé·es. Par contre, pour la première fois depuis longtemps, Izquierda Unida, dans lequel se trouve le PC espagnol (IU-PC fait partie de Sumar qui particpe au gouvernement du socialiste Pedro Sanchez) et le PC français seront absents du Parlement européen et AKEL à Chypre recule. Podemos, qui est sorti du gouvernement de Pedro Sanchez et de Sumar en 2023, sur une ligne gauche a obtenu 2 sièges (alors qu’en 2019, il en avait 5). Anticapitalistas, qui avait un siège, ne s’est pas représenté. Die Linke obtient seulement 2,7% des voix et perd 2 sièges, il passe de 5 parlementaires à 3, ayant souffert d’une scission organisée par une de ses anciennes dirigeantes qui a créé un mouvement qui porte son nom : le Rassemblement Sarah Wagenknecht (Bündnis Sahra Wagenknecht).
Ce nouveau parti, qui a obtenu 6,2% des votes (près de deux millions de voix) et 6 europarlementaires du premier coup, ne fera probablement pas partie de The Left. Affaire à suivre. Le Rassemblement Sarah Wagenknecht a obtenu d’importants résultats sur le territoire de l’ex-Allemagne de l’Est obtenant parfois 15% des voix et arrivant en troisième place derrière le parti d’extrême-droite AFD et le parti de Usurla von der Leyen CDU/CSU, membre du PPE. Il n’exclut de faire un accord avec ce parti (et le parti socialiste SPD) pour gouverner des provinces de l’Est et ainsi éviter que l’AFD n’arrive au gouvernement. Le nouveau parti de Sarah Wagenknecht a gagné des voix au détriment du parti social-démocrate du chancelier Scholtz, de Die Linke, de l’AFD, des Libéraux, des Verts et de la CDU-CSU. Selon Reuters, dans l’ordre, cela donne 500 000 venues du SPD, 400 000 venues de Die Linke et 140 000 de l’AFD. Sarah Wagenknecht et son parti ont adopté une position favorable au contrôle des flux migratoires, le refus d’envoyer des armes pour soutenir l’Ukraine envahie par la Russie et la nécessité de l’ouverture de négociations pour mettre fin à la guerre,… Ils ne se prononcent pas pour des mesures anticapitalistes. La question de l’environnement occupe une place marginale dans le programme, de même que la question des droits des LGBTQI+. On ne peut dès lors pas mettre ce nouveau parti dans la catégorie des partis de gauche radicale mais ce serait une erreur de le ranger dans la droite. Son programme fait penser d’une certaine manière au programme des Parti Communistes des années 1960-1970 (comme le Parti communiste français) : une importante dose de protectionnisme pour défendre les acquis sociaux, une recherche d’une alliance avec les classes moyennes, les chefs d’entreprise qui investissent dans la production nationale et créent des emplois, contre le grand capital globalisé, internationalisé et monopoliste. Une ligne anti-monopoliste plutôt qu’anticapitaliste. Il faudra suivre de près son évolution sans diaboliser le Rassemblement Sarah Wagenknecht tout en critiquant et en débattant sur tous les points qui exigent une orientation claire de gauche radicale, internationaliste, écologiste socialiste et féministe.
Parmi les succès de partis ou de listes qui font partie de The Left, il faut signaler les bons résultats du PTB (Parti du Travail de Belgique) en Belgique, parti d’origine maoïste et stalinienne ayant renoncé publiquement à ces références depuis une vingtaine d’années [4]. Dans la partie flamande du pays, le PTB a doublé ses voix pour atteindre 8,2 % et obtenir son premier parlementaire européen élu dans le collège flamand. Dans la région francophone (Wallonie et Bruxelles francophone), il a obtenu 15,4 % et maintient un europarlementaire. Pendant que se déroulaient les élections européennes, avaient également lieu les élections fédérales et régionales. Pour les élections au parlement flamand, le PTB a obtenu 8,3%, en forte hausse. En Wallonie, le PTB a connu un léger tassement et a obtenu 12,1% (-1,5% par rapport à 2019) et à Bruxelles francophone, le PTB a progressé et a obtenu 21 % (alors que le PS obtient 22%). Dans certaines municipalités du cœur populaire de Bruxelles, le PTB dépasse 25% des voix comme à Anderlecht (28%), à Molenbeek (27%), ou à Bruxelles ville (26%). A Liège centre, il obtient 16,5%, dans la banlieue industrielle de Liège, à Herstal, le PTB obtient 24,3%. À Charleroi, il obtient 20%. Le PTB a une orientation de gauche radicale et est internationaliste mais évite de proposer des mesures anti-capitalistes.
A noter qu’il y avait également une liste Anticapitaliste (IV Internationale) qui se présentait en Belgique francophone aux élections européennes. En Wallonie, elle a obtenu 2,5%.
La bonne surprise vient d’Italie où la liste de l’Alliance Verte et Gauche a obtenu 6,8% des voix et a gagné 5 sièges de parlementaires européens, passant de 1 siège à 6. 2 des 6 sièges vont renforcer The Left, 3 reviennent au groupe des Verts européens et 1 siège fait partie de la catégorie des non inscrit·es.
La dette publique, qui a fortement augmenté, va servir d’argument pour imposer des politiques austéritaires de plus en plus fortes
L’Italienne Ilaria Salis, enseignante de 39 ans, détenue en Hongrie parce qu’accusée de violences contre des néofascistes lors d’une manifestation antifa début 2022. Elle a été arrêtée début 2023 à Budapest et emprisonnée depuis lors et risquait une condamnation qui pouvait aller jusqu’à 24 ans de prison. Elle était candidate sur la liste d’Alleanza Verdi e Sinistra, et a été élue au parlement européen et en conséquence elle a été libérée. C’est une très bonne nouvelle. Une autre bonne nouvelle, c’est qu’un maire italien Mimmo Lucano qui avait été menacé de prison par le gouvernement de Matteo Salvini en 2019 pour avoir autorisé l’arrivée d’un bateau de migrants dans le port de sa petite ville Riace a lui aussi été élu au parlement européen sur la même liste qu’Ilaria Salis.
Miguel Urban, eurodéputé sortant, a grandement raison dans sa réflexion sur la crise de la gauche. J’y adhère sans restriction et je reprends une longue citation d’un de ses articles récents :
« Alors que l’extrême droite semble se développer partout en Europe, la gauche reste bloquée dans une crise existentielle en tant que plus petit groupe au Parlement européen, et doit se demander ce qu’elle a fait de mal pour que l’extrême droite soit perçue comme l’expression d’un malaise et un vecteur de protestation électorale. Pourquoi la gauche a-t-elle cessé d’être un outil de fédération du mécontentement et de la contestation, de protestation de l’establishment, de l’illusion de ceux et celles qui sont au bas de l’échelle ? Et, surtout, comment pouvons-nous le redevenir ?
Parce qu’il y a tout juste dix ans, la coalition de gauche radicale SYRIZA remportait les élections européennes de juin 2014 en Grèce, précurseur de sa victoire, un an plus tard, aux élections législatives, prenant, pour la première fois depuis la Seconde Guerre mondiale, le contrôle d’un gouvernement d’un pays de l’UE par une force située à la gauche des sociaux-démocrates. Il y a seulement dix ans, une nouvelle force politique, Podemos, a fait irruption au Parlement européen et, en un peu plus d’un an, a presque réussi à dépasser le Parti socialiste ouvrier espagnol (PSOE) avec plus de cinq millions et 21 % des voix.
Avec quelques années de recul, on ne peut s’empêcher de rappeler la thèse classique de Walter Benjamin : « Chaque montée du fascisme témoigne de l’échec d’une révolution ». Une affirmation qui, si on l’extrapole de son sens littéral, est toujours d’actualité pour comprendre comment la montée du néolibéralisme autoritaire et/ou de l’extrême droite, n’est pas exclusivement, mais aussi liée aux faiblesses actuelles de la gauche. Une thèse utile pour garder à l’esprit les risques de modération des gouvernements de gauche et leur incapacité à répondre aux attentes de changement des classes populaires, comme cela s’est produit avec Syriza en Grèce ou comme cela se produit en Espagne avec le PSOE et Sumar. Car lorsque les attentes sont déçues, l’insatisfaction et la frustration apparaissent, et la logique du « c’est impossible », du « ils sont tous les mêmes », de l’anti-politique néolibérale qui alimente les passions sombres sur lesquelles se construit l’internationale réactionnaire, l’emporte.
La majorité de la gauche institutionnelle européenne n’a pas encore tiré les leçons de la défaite de l’expérience du gouvernement Syriza, des limites d’un projet réformiste dans un contexte de crise de régime où il n’y a pas de place pour les réformes, et du rôle joué par l’UE en tant qu’expression concentrée du constitutionnalisme de marché néolibéral où l’ensemble des soi-disant règles de l’UE prévaut sur le droit des États nationaux et donc sur la souveraineté populaire. L’expérience du premier gouvernement Syriza, le référendum contre l’austérité en juillet 2015 et l’imposition du mémorandum d’austérité par la Troïka l’ont clairement démontré.
En fin de compte, si la gauche n’offre pas d’alternatives au désordre, à la crise climatique, à l’insécurité sociale, à la gestion des migrations et aux inégalités croissantes, ces espaces seront occupés par l’extrême droite dans une perspective d’exclusion, de punitivisme et de criminalisation de ceux qui sont différents. La gauche doit comprendre le moment de crise du régime capitaliste dans lequel nous nous trouvons, qui génère un mécontentement croissant parmi de plus en plus de secteurs sociaux. A de nombreuses occasions, la gauche est considérée comme faisant partie du système et donc du problème.
Il ne fait aucun doute qu’en temps de crise comme aujourd’hui, la gauche doit se repenser, une tâche qui, en aucun cas, ne peut la conduire sur une voie très dangereuse, une tendance à une certaine fascination pour les questions soulevées par l’extrême droite : protectionnisme, souveraineté d’exclusion et politiques anti-immigration. Souvent, en n’abordant pas ces problèmes dans le cadre de la reconstruction d’un projet basé sur l’auto-organisation autonome de la classe ouvrière, aux aspirations hégémoniques et porteur d’une proposition de société écosocialiste et féministe, il peut sembler que l’on cherche à « contester » les propositions de l’extrême droite, dans un de ces exercices sans lendemain consistant à mimer l’adversaire pour lui « voler » ses succès. Cette tactique peut fonctionner pour la droite lorsqu’elle copie les aspects les plus superficiels de la gauche, mais elle conduit la gauche à l’impuissance totale et à l’autodestruction ». (Fin du long extrait de l’article de Miguel Urban à paraître dans sa version intégrale prochainement)
Conclusions
La Commission, le Conseil et la BCE vont augmenter la pression pour aggraver le tour de vis qui sera donné aux dépenses sociales par les gouvernements des pays de l’UE
L’orientation à droite des institutions qui gouvernent l’UE va être nettement accentuée. La Commission, le Conseil et la BCE vont augmenter la pression pour aggraver le tour de vis qui sera donné aux dépenses sociales par les gouvernements des pays de l’UE. La dette publique, qui a fortement augmenté, va servir d’argument pour imposer des politiques austéritaires de plus en plus fortes. Dans la bataille des idées, il faudra expliquer que les gouvernements, la Commission et la BCE ont voulu une augmentation de la dette publique pour financer les dépenses face à la pandémie de coronavirus et à la crise économico sociale qui a été amplifiée par celle-ci. Les dirigeant·es européens et les gouvernements nationaux n’ont pas voulu taxer les super profits des grandes entreprises pharmaceutiques – en particulier celles produisant des vaccins – qui se sont scandaleusement enrichies sur le dos de la société. De même que les entreprises de distribution – en particulier celles spécialisées dans les ventes en ligne et dans les services informatiques – qui ont fait d’énormes bénéfices. Ensuite, quand les prix du gaz a explosé dans la foulée de l’invasion de l’Ukraine par la Russie, les gouvernements n’ont pas voulu contrôler les prix de l’énergie et les geler, ce qui a permis aux entreprises spécialisées dans les combustibles fossiles et celle productrices d’énergie de faire à leur tour d’énormes profits sur le dos de la société. Enfin, quand les prix des aliments ont explosé suite à la guerre en Ukraine et à la spéculation sur les céréales, les entreprises céréalières ont fait des super profits. Tout comme les grandes chaînes de distribution qui ont augmenté le prix des aliments au détail de manière disproportionnée et abusive, provoquant une hausse très forte de l’inflation et une perte du pouvoir d’achat des classes populaires. Les gouvernements ont refusé de taxer de manière extraordinaire leurs bénéfices. Les entreprises de productions d’armes voient également leurs bénéfices augmenter grâce à la guerre en Ukraine et au Proche-Orient.
Dans cette situation et avec cette posture de refus de faire des prélèvements sur les entreprises qui profitaient de la crise et sur les plus riches, les États ont eu de plus en plus recours au financement par l’endettement au lieu de se financer via des recettes fiscales, sauf celles provenant des impôts indirects sur la consommation (Taxe sur la valeur ajoutée – TVA) qui sont particulièrement négatifs pour la grande majorité de la population et en particulier les secteurs aux revenus les plus bas.
Dans la bataille des idées, il faudra montrer qu’une grande partie de la dette publique est en conséquence illégitime et qu’elle doit être auditée et annulée.
La politique des dirigeant·es européen·nes et des gouvernements nationaux en matière migratoire va également être durcie et les atteintes portées aux droits humains vont augmenter. Les violations de ces droits vont se multiplier alors qu’elles sont dénoncées par la Cour européenne des droits de l’homme et les associations de défenses des droits humains.
L’inaction climatique des gouvernements et des institutions européennes va aussi s’approfondir.
Le réarmement va s’accélérer.
Les discours d’extrême-droite et les politiques qui leur sont favorables risquent de continuer à se répandre.
En conséquence, la lutte anti fasciste et les actions de protestation contre la montée de l’extrême-droite prendront de plus en plus d’importance.
Les mouvements sociaux et les partis politiques de gauche doivent reprendre l’initiative sur un programme résolu de rupture avec le capitalisme et avec une pratique non moins résolument unitaire.
L’auteur remercie Peter Wahl, Angela Klein, Roland Kulke, Fiona Dove, Thies Gleiss, Gerhard Klas, Manuel Kellner, Tord Björk, Raffaella Bollini, Franco Turigliatto, Gigi Malabarba, Miguel Urban, Alex De Jong, Roberto Firenze, Gippo Mugandu, Roland Zarzycki qui ont bien voulu répondre à ses questions concernant les résultats des élections européennes. Merci à Maxime Perriot pour sa relecture. L’auteur est seul responsable des opinions émises dans cet article et des erreurs qu’il contient éventuellement.
Notes
[1] Outre la Belgique, c’est le cas de la Bulgarie, de la Grèce et du Luxembourg.
[2] Miguel Urban, « Qui sème des politiques d’extrême droite… récolte des politiques d’extrême droite », publié le 17 juin 2024, https://www.cadtm.org/Qui-seme-des-politiques-d-extreme-droite-recolte-des-politiques-d-extreme
[3] Les 4 eurodéputé-es sont Marion Maréchal qui est encore plus à droite que sa tante Marine Le Pen. Les 3 autres sont Guillaume Peltier ainsi que Laurence Trochu, qui a quitté Reconquête pour former un nouveau parti conservateur avec Nicolas Bay
[4] Au début des années 1980, le PTB dénonçait le social impérialisme soviétique comme aussi dangereux que l’impérialisme des Etats-Unis, il dénonçait Cuba comme le bras armé du social-impérialisme soviétique opérant notamment en Angola. En mai 1989, le PTB a soutenu la répression par les autorités chinoises contre l’occupation de la place Tienanmen. Des auteurs du PTB affirmaient que les procès de Moscou des années 1930 étaient justifiés et n’avaient pas été assez loin dans l’épuration des éléments traitres à la cause communiste. Le PTB a essayé de reconstruire le mouvement communiste international en collaboration puis en concurrence avec le Parti Communiste philippin de Jo Maria Sison et de Sentier Lumineux d’Abismael Guzman. Son virage date des années 2000. Il garde une référence marxiste-léniniste.
Auteur.e
Docteur en sciences politiques des universités de Liège et de Paris VIII, porte-parole du CADTM international et membre du Conseil scientifique d’ATTAC France.
Il est l’auteur des livres, Banque mondiale – Une histoire critique, Syllepse, 2022, Capitulation entre adultes : Grèce 2015, une alternative était possible, Syllepse, 2020, Le Système Dette. Histoire des dettes souveraines et de leur répudiation, Les liens qui libèrent, 2017 ; Bancocratie, ADEN, Bruxelles, 2014 ; Procès d’un homme exemplaire, Éditions Al Dante, Marseille, 2013 ; Un coup d’œil dans le rétroviseur. L’idéologie néolibérale des origines jusqu’à aujourd’hui, Le Cerisier, Mons, 2010. Il est coauteur avec Damien Millet des livres AAA, Audit, Annulation, Autre politique, Le Seuil, Paris, 2012 ; La dette ou la vie, Aden/CADTM, Bruxelles, 2011. Ce dernier livre a reçu le Prix du livre politique octroyé par la Foire du livre politique de Liège.
Il a coordonné les travaux de la Commission pour la Vérité sur la dette publique de la Grèce créée le 4 avril 2015 par la présidente du Parlement grec. Cette commission a fonctionné sous les auspices du parlement entre avril et octobre 2015.
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